Transsibérien : 83h entre Moscou et Irkoutsk

De Moscou à Irkoutsk, c'est quatre-vingt-trois heures, un voyage où le temps n'a plus d'importance.

La capitale sera bientôt un lointain souvenir. Je vais prendre la ligne "Rossiya". Cette historique voie ferrée s'étendant sur plus de 9000 km et traversant 990 gares entre Moscou et Vladivostok. Initialement pensée par les tsars de l'Empire Russe en 1891 pour développer le pays d'ouest en est, cette voie ferrée est toujours d’actualité. Je m'arrêterai dans un premier temps à Irkoutsk en Sibérie après plus de trois jours dans cette folie eurasienne.

Je suis en troisième classe, la plus populaire aussi appelée "platskartny". Cette classe rythme le quotidien des russes. Ils l'utilisent pour voyager, pour rendre visite à la famille ou bien pour rejoindre leur travail. Certains se contentent de quelques heures, d'autres de quelques jours à bord du "Транссибирская"

Chaque compartiment est ouvert et comprend 6 lits. Quatre personnes dans le carré central, deux dans le couloir. J'occupe un des lits perché du quatuor. Mon wagon comporte une soixantaine de personnes. Nous partagerons ensemble les bruits incessants des rails, le claquage des portes, les pleurs des enfants ou les toux des malades.

Les premières heures...

Nous partons à la mi-journée dans ce voyage vers l'Asie. Durant les deux premières heures, je reste sur la banquette du bas, scotché à observer ce qui m'entoure. J'attise la curiosité de mes compagnons de chambre, je suis le seul non-russe du wagon. Difficilement et bloqué par la barrière de la langue, nous tentons de faire connaissance.

Ma voisine d'en face me tend un thé. C'est l'activité principale du Transsibérien : boire des litres de thé. Ceci est facilité par la présence d'un samovar. C'est une énorme bouilloire en libre-service présente dans chaque wagon.

Après 3h la grand-mère siégeant à côté de moi me fait comprendre qu'elle veut s'allonger. L'heure de la sieste ? Ok. Je monte dans lit. Mamie a sommeil. C'était sans penser qu'elle ne se redresserait qu'à 11h le lendemain. Durant 20h je suis à l'horizontale, confiné dans mon minuscule espace. Un vrai rythme de koala.

Après 24 heures...

Depuis Moscou, un tour d'horloge et deux changements d'heure. Sur mes cinq voisins de compartiment, seul la mamie et Valentina demeurent.

Valentina habite Krasnoyarsk en Sibérie et parle un peu anglais. Heureux de me sociabiliser, je l'assène de question. Elle s'est rendu sur Moscou pour son travail. Le transsibérien l'emmerde. De son domicile à la capitale, c'est 48h de train, soit 96h aller-retour, soit 4 jours...  Répété plusieurs fois dans l'année, je comprend son agacement. De mon côté je lui explique que je rêvais de ce train et qu'il me fascinait. Nous rions de cette situation bien cocasse.

J'ai prévu de faire un jeu dans ce train. Cela me parait être un bon moyen pour amorcer des conversations. Inspiré de l'histoire de Kyle MacDonald, le but est d'échanger des objets avec les gens. Cet américain a réussi en partant d'un trombone à obtenir une maison. Je pars d'une orange. J'ai pris le soin d'écrire les règles en russe sur mon calepin. Valentina joue le jeu et m'offre une cuillère. Ce sera mon seul échange dans le train.

Ce train qui s'enfonce dans la Russie pendant que les aiguilles de l'horloge tournent.

Je contemple les paysages et ces bouleaux à perte de vue. Je me demande si c'est cela la Taïga ou bien si elle sera plus dense à l'avenir ?

Je lis en parallèle le livre de Sylvain Tesson "Dans les forets de Siberie". J'aime ce que dégage cet homme et une de ses proses me marque : "Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l'or".

Dans ce train, j'ai du temps. Que faire ? Je lis, je regarde dehors, je mange puis j'attends d'avoir faim. Je parle de temps en temps et j'apprends le russe. J'envoie des messages lorsque j'ai du réseau. Je bois du thé et je dors.

Toutes ces choses si infimes deviennent agréable. Je n'ai pas la sensation de m'ennuyer. J'ai le temps de prendre le temps de faire chacune de ces choses. Je rajouterai au froid, au silence et la solitude de Tesson le temps. C'est une denrée qu'on oublie souvent de se donner. Dans ce Transsibérien, je redécouvre le temps et j'en profite.

Des brèves pauses de deux minutes toutes les deux ou trois heures. Parfois nous stoppons trente minutes dans les grandes villes. Je m'étonne du nombre de  métropoles de plus d'un million d'habitants que nous traversons : Kazan, Perm, Ekaterinbourg, Omsk, Novosibirsk ou Krasnoyarsk. Que la Russie est gigantesque !

Parfois nous nous arrêtons dans des petits villages. Des locaux sont présents sur les quais enneigés pour rassasier les voyageurs. Souvent des poissons fumés sont étendus. Dans la bourgade de Shubinskoye, je m'essaie à un poisson contre quelques roubles. Pensant m'offrir un festin, c'est un carnage.

Je m'y prend mal à manger ce poisson à demi-cru.

C'est fort en bouche et difficilement appréciable. J'en propose à ma compère russe, qui rétorque. Devant mon aventure culinaire peu fructueuse, Valentina rit bien de moi.

Après 48h...

A Novossibirsk, je sors me dégourdir sous les températures négatives. Je reste figé devant les cheminots qui travaillent. Sous leur chapka, ils vérifient notre locomotive en la frappant à coup de barre de fer pour s'assurer que rien n'a gelé.

Avec Valentina, je découvre le wagon bar. Une bonne occasion de trinquer une bière. J'ai le droit à un cours de russe. J'apprend à me présenter ainsi que l'alphabet cyrillique. Une brève soirée dans ce train qui laisse présumer plus de festivités à l'avenir.

Pour le troisième réveil dans le transsibérien, j'ouvre les yeux à 5h du matin (heure locale). Nous avons changé 4 fois d'heures. A Moscou il est 9h. Quand le soleil se lève dans la Taïga, je mange mon déjeuner. Je commence vraiment à être déréglé. C'est assez folklo. Complètement perdu dans l'espace-temps.

A Krasnoyarsk, c'est l'heure des au-revoirs avec Valentina et Mamie.

J'aide Mamie à sortir ses bagages. Elle est accueilli par sa fille et son gendre qui me remercient.

En me retournant j'aperçois Valentina et son papa. Un homme au visage dur qui me tend deux sacs. J'enlace Valentina, salue le papa et je remonte dans le train.

Je m'assoie sur ma banquette et je decouvre 5 tupperware bondés de nourriture. Ils m'ont préparé un festin, je n'y crois pas ! Quelle gentillesse !

Au delà du plaisir de manger autre chose que des nouilles instantanées, je suis touché par cette formidable attention. C'est la raison première pour laquelle je fais ce voyage. Ces si belles rencontres, improbables et sincères. Elles me donnent foi en l'humanité et me renforcent dans ma conviction que l'Homme est bon. Je suis aux anges.

Les dernières heures...

Mon horloge biologique est perturbée. Insomnie lors de cette dernière nuit. Je suis pensif. Je me refais ce voyage. Je repense à mes souvenirs enfantins du Transsibérien. Aux idées que je m'en faisais. Ça me paraissait si irréel et là j'y suis. Les km passent, je suis heureux.

Vers cinq heures du matin, l'un des deux cheminots veillant sur notre wagon vient me tapoter l'épaule pour me signaler de notre imminente arrivée. Mon habitat rangé, et les draps déposés, je suis prêt à fouler mes premiers pas sur le territoire sibérien.

Je salue d'un grand sourire les cheminots. Pour eux ce n'est qu'un énième trajet. Ils ont encore deux jours de train jusqu'à Tchita avant
un week end de repos. Et ils reprendront les rails vers Moscou. Nous pourrions penser qu'il y a des rotations du personnel au fil des gares
traversées. Mais non. Chaque binôme est responsable de son wagon du départ à l'arrivée du train.  Ce sont eux les réels habitants du Transsibérien.

A six heures du matin, le train s'arrête. Je descend et je réalise difficilement ce qu'il se passe. Je suis émerveillé du moment présent.
Il fait -10 degrés et je suis à Irkoutsk en Sibérie.

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