La remontée vers les pays Baltes

Du Nord de la Pologne au Sud-Est de la Lituanie.

La sortie de Varsovie est longue et moche. Je dois suivre l'autoroute S8 pendant 101 km. C'est ennuyant jusqu'à l'arrivée dans le village de Rogoznia. C'est le type d'étape qui n'enchante guère le nouveau cycliste que je suis. Perdu dans la campagne polonaise, je rejoins un châlet au milieu des vaches et chiens errants. 

La lassitude des longues étapes se faisant ressentir, j'ôte Bialystok de ma route pour filer plus rapidement vers le nord. Je me perd sur des cartes pour trouver la destination du jour. Le village de Wizna m’interpelle par son histoire : 740 valeureux polonais ont résisté quelques jours a 42 000 soldats du IIIème Reich. C'est parti, direction Wizna ! 

Après un parcours de 72 km rendu difficile par les farces de mon GPS, Matheauz, un polonais de 25 ans m'accueille et nous dînons devant le match de foot Pologne-Lettonie (3-0). Son repas m'interpelle, des spaghetti baignants dans un litre de lait. C'est le repas économique et consistant qui a bercé son enfance. 

Nouveau réveil au chaud et route vers Augustow. Une bien belle journée pour un cycliste, 108 km sur la “green velo” dans le parc national de la Biebrza. A mi-parcours je déjeune à Goniadz dans un restaurant ouvert depuis seulement 4 jours. Le serveur me salue d'être le premier étranger du restaurant et je lui demande de m’offrir ce qu'il a de plus traditionnel. Ce sera un “Golonka”, un bon gros jarret de porc, précédé d'une soupe et d'une pinte locale. Le ventre bien rempli, je repars vers Augustow ou je passe la nuit dans une maison d'hôte.  

"Do widzenia Polsko, Sveika Lietuva" 

Après 10 jours polonais, la Lituanie va s'ouvrir à moi. Je quitte Augustow pour Miroslavas. Je change d'heure et les routes sont de plus en plus vallonnées. Mes premiers km en Lituanie vacillent entre villages déserts et fermes du siècle dernier. J'aperçois des fermiers traire dans les pâturages. 

Pour couronner cette fantastique journée de 99 km, je crèche dans un énorme bâtiment vide de vie. Il n'y a pas un chat, j'ouvre la porte d'entrée grâce à un code que l'on m'a envoyé. J'explore craintivement ce qui semble servir de mairie, de centre culturel et d'école à ce village. J'occupe une chambre d'une dizaine de lits.  Seul au monde pour ce premier jour balte. 

L'objectif de Vilnius se rapproche. Je roule dans ces campagnes vides. Tout me paraît un peu hors du temps. C'est Dimanche, j'appelle ma famille tout en dégustant la chips lituanienne appelée “skruzdelynas” à défaut de l'habituel poulet rôti familial. Je parcours 81 km pour me rendre dans le seul hôtel du village de Pirčiupiai.  

"Vilnius l'accomplissement"

Le 14 Octobre marque l'achèvement du premier grand défi du voyage. Celui de traverser une partie de l'Europe en vélo. Cet objectif me paraissait si fou il y a 6 mois. Et aujourd'hui cette folie n'en devient que plus grande.

D’emblée arrivé dans la capitale lituanienne, je dévore un Cepelinai. C'est le plat typique lituanien. Ce sont des boulettes de pommes de terres râpées farcies au bœuf et à la crème. 

En déjeunant je remarque que mon compteur kilométrique affiche 1980 km. 20 km pour valider la symbolique barre des 2000 km. Je ne peux pas m'empêcher de faire une dernière balade.

Je me rend sur le lieu du "massacre de Poneriai" ou 100 000 innocents ont été abattus lors de la seconde guerre mondiale. Depuis Auschwitz, mon voyage tourne en pèlerinage. Seul dans ce mémorial, je m'assois longuement. Partagé entre la satisfaction d'avoir bouclé ces 2 000 km et horrifié par l'atrocité dont l'Homme est capable. 

L'actualité du jour est sombre et marquée par les conflits turco-kurdes et sino-ouïghours. Beaucoup de questions me taraudent. Pourquoi encore des conflits ? Qu'avons nous appris du passé ? Ces memorials sont-ils là seulement pour nous donner bonne conscience ? Que retenons nous du mot inscrit à Auschwitz ? "Que ce lieu où les nazis ont assassiné un million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants, en majorité des juifs de divers pays d'europe, soit à jamais, pour l'humanité un cri de désespoir et d'avertissement". Je me sens si impuissant. 

Mélancolique mais heureux du moment présent, je reviens sur Vilnius avec le sourire en apercevant la tour Gediminas. Devant le symbole de la lituanie, je me sens privilégié, heureux, accompli, et fier de moi. Une chose est sûre, je veux vivre et revivre cette si belle sensation. Je profite de ces belles minutes de solitudes avant de rejoindre le quartier d'Uzupis.

Kipras, un lituanien de 25 ans m’accueille dans sa colocation. Ils sont trois à habiter dans ce vieil appartement délabré mais très chaleureux. 

Très original, ce quartier de Vilnius est considéré comme une micro-nation par ses 7000 habitants depuis 1998. Des ruelles aux formes pittoresques et des galeries d'art rappellent le quartier parisien de Montmartre. Les artistes siègent depuis des générations dans ce quartier historique de la capitale. 

Comme dans le quartier de Christiania à Copenhague, une délirante constitution de 41 lois a été créée. Parmi celles-ci :

"L'Homme a le droit d'aimer" 

"L'Homme a le droit de faire des erreurs" 

"L'Homme a le droit de paresser et de ne rien faire du tout" 

"Le chien a le droit d'être chien" 

"L'homme a le droit d'être d'une nationalité différente" 

"L'Homme a le droit d'être un individu"

...

Nous nous rendons ensuite dans un pub du quartier. Kipras me parle de sa culture balte et de cette fierté de la faire perdurer. Nous échangeons sur l'histoire douloureuse de la Lituanie, meurtrie par les guerres et occupations. Il me raconte que son grand-père pensait à une libération lors de l'arrivée des nazis alors que le pays était occupé par l'Empire Russe... 

Le pays n'a trouvé son indépendance qu'en 1989 lorsque le peuple balte s’est uni. Plus de 2 millions de baltes ont participé à une chaîne humaine s'étendant sur 687 km de Vilnius à Tallinn. 

Je poursuis cette escapade en me faufilant au milieu des nombreuses églises gothiques et baroques de la ville. Je termine par la tour Gediminas, dernier vestige du château de Vilnius.

Puis vint le temps de me séparer de mon vélo. Je me dirige vers le Decathlon de Vilnius avec la ferme intention de troquer ce vélo contre un sac et des chaussures… Le magasin ne peut pas me le racheter. Je me lance dans un numéro de vendeur de tapis dans les rayons du Décathlon pour brader ce bicloune. Finalement l'un des employés me l'achète pour cinquante modestes euros. 

Je repars tel un randonneur sponsorisé par Quechua vers la Russie.

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